Traces musulmanes dans l’art chrétien

8:26 - April 23, 2017
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Chronologiquement, l’art chrétien est né avant l’art musulman, mais l’histoire du monde a fait que ces deux arts ont, tour à tour, évolué dans le temps et dans l’espace, chacun s’inspirant de l’autre,...
Traces musulmanes dans l’art chrétien
Chronologiquement, l’art chrétien est né avant l’art musulman, mais l’histoire du monde a fait que ces deux arts ont, tour à tour, évolué dans le temps et dans l’espace, chacun s’inspirant de l’autre, les premiers monuments musulmans de Syrie et de Palestine s’appuyant sur les concepts chrétiens de l’église byzantine, les églises romanes de l’Occitanie s’inspirant à la fois de ces mêmes monuments byzantins et des systèmes décoratifs musulmans.
D’autre part, le monde chrétien est plutôt constitué de peuples sédentaires alors que le monde musulman, même s’il s’est étendu à des peuples eux-aussi sédentaires, est d’origine nomade, et sans cesse, sera « irrigué » par des invasions, mongoles, seljoukides, turques, mais toujours entreprises par des nomades.
Sur toutes les terres où l’Islam, venu du désert d’Arabie, s’est étendu, il a assimilé le type d’architecture local préexistant, qu’il soit byzantin, perse, hindou ou bouddhiste, en en développant les formes qui convenaient à sa vision du monde, que ce soit dans les constructions d’argile qui bordent le fleuve Niger, dans les monuments moghols de Fatehpur Sikhri en Inde ou dans les mosquées aériennes de Sinan de l’actuelle Turquie.
Les mosquées et les églises sont construites à partir de matériaux épars, pierres et bois trouvés dans la nature et de matériaux fabriqués à partir d’autres éléments naturels comme briques ou verreries. Et ce seront les outils qui se feront les instruments du divin en transformant ces pièces brutes en ses reflets. Les ciseaux du sculpteur seront semblables aux calames qui, dans les medersas creuseront le papier pour y inscrire les versets du Coran. Du « chaos » des matières, surgit l’harmonie des cimes.
On entre dans une église par une porte qui, par l’existence d’un arc plus ou moins travaillé, décoré de voussures, la rend semblable à une niche, niche que l’on retrouve au chœur de l’église, et qui représente le « Saint des Saints », le lieu de l’ « apparition » divine. Niche que l’on retrouve également dans les lieux de prière musulmans, sous la forme du mihrâb, dont la voûte représente le ciel, mais qui, contrairement au rite chrétien, ne « contiendra » pas Dieu, les croyants dirigeant leur prière vers un centre à elle extérieur, au-delà de la niche, la Kaaba.
Et on peut imaginer les centaines de milliers de mirhâb, qui, de par le monde, forment des milliers de cercles concentriques autour d’un simple cube noir et sacré. Alors que les abords de ce portail-niche seront l’objet de toutes les attentions artistiques, aussi bien dans l’église que dans la mosquée, comme ils l’étaient déjà pour les niches contenant, dans les temples hindous, les images, les signes de la Divinité.
La ligne courbe, ligne directrice de tout art nomade, de tout nomadisme, venu d’Orient avec les conquérants musulmans du VIIIe s., orne fastueusement sous forme de polylobes et d’arabesques le mihrâb de la mosquée de Cordoue au Xe s., avant de conquérir, deux cents ans plus tard, de nombreuses églises romanes du Sud de la France, les faisant ainsi renouer avec le mouvement primordial, au plus près de l’Origine.
Les églises et les mosquées sont décorées de motifs zoomorphes venus des plus lointaines sociétés préhistoriques, et repris par les cultures mésopotamiennes aussi bien que par les cultures septentrionales d’Europe. Et, dans la France du Sud, se retrouveront les lions et les aigles échappés de l’Evangéliaire du Livre de Kells comme des Ateliers de Cordoue, unis en dragons et griffons souvent affrontés, animaux solaires, symboles des solstices, des phases ascendante et descendante du cycle de l’année, chaque dogme, chrétien ou musulman, lui donnant sa propre signification, des créatures infernales domptées par l’Homme-Dieu à celles, fabuleuses, combattant sans fin les forces surnaturelles, symboles de puissance ambiguë.
L’art chrétien, héritier, entre autres, des mondes grec, latin et nordique, rencontre l’art musulman héritier des mondes babylonien, indien et perse, et l’un échangera avec l’autre ses techniques, ses motifs, ses formes pour construire des œuvres destinées à la concrétisation matérielle et de l’infini divin.
Le carré des fondations, posé solidement à terre, rencontre dans les airs la coupole destinée à atteindre le ciel. Et des étoiles d’or couvriront celle du mausolée de Galla Placidia à Ravenne au Ve s., alors que des milliers de pièces de mosaïque tournoieront au plafond de la mosquée Jamia de Thatta au Pakistan plus de mille ans plus tard.
Et les têtes de Bouddha seront serties au Nord du même pays dans une auréole, courbe parfaite enserrant la plus noble partie de l’être humain, comme elle entourera, cercle presque complet, les têtes des saints de l’iconographie chrétienne avant d’envelopper, complètement cette fois, les noms de Allah et de Mohammed de part et d’autre des mirhâb de toutes les mosquées.
Lorsqu’on lève les yeux au plafond de la mosquée de Karbala en Iraq, entièrement recouvert de miroirs biseautés, s’y reflètent, difractés, méconnaissables, les sols, mais également les foules les foulant, et notre imagination peut isoler n’importe quel brillant coloré et le rattacher à toute religion, à toute croyance – puisque le miroir est reflet, à la fois semblable et différent de la Vérité – et le désigner comme mémoire de l’univers.
par Georges A. Bertrand
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